Une des images courantes sur le moyen-âge réputée "période barbare marquée d'obscurantisme", est la chasse aux sorcières. Des milliers de femmes auraient été jugées par des tribunaux éclésiastiques pervers et sadiques pour ensuite être brûlées en place public pour le plus grand plaisir d'une foule hystérique, ignorante et superstitieuse.. Les romans d'autrefois, les écrits d'historiens anti-cléricaux du XIX° siècle, les films du genre "Les visiteurs" sont une illustration de cette vision des choses.
Un discours moderne dit que ces sorcières étaient les femmes qui soignaient par la connaissance des plantes, des forces de la natures (les ondes cosmo-telluriques ?) et que ce savoir et ce pouvoir féminin inquiétait une Église faite d'hommes, apeurées par ces femmes fortes. Les sorcières auraient été les premières féministes. Leur action aurait été une revendication du pouvoir des femmes plus en lien avec la nature, au contraire des hommes d'Église purs intellectualistes.
En fait si on lit les travaux de vrais historiens, des gens qui consultent les sources, les documents d'époque, les minutes des procès pour sorcellerie, aucun de ces discours n'a la moindre validité, la moindre justification historique !...
La chasse aux sorcières a eu lieu surtout aux XVI°, XVII°, et XVIII° siècles, et surtout dans le monde protestant, réputé pourtant plus rationnel, que dans le monde catholique. L'archétype en est la fameuse affaire des sorcière de Salem.
On a des références historiques de clercs médiévaux affirmant que la sorcellerie n'est qu'une vaine superstition dont il n'y a pas lieu de s'occuper.
Ce n'est qu'à la fin du moyen-âge que l'on commence à s'occuper de la sorcellerie.
En fait comme le souligne Régine Pernoud, ce phénomène accompagne la mode du retour "à l'Antique", accompagnée d'une détestation du moyen-âge, qualifié d'âges barbares, "gothiques".
Tout d'abord un petit rappel.
Le statut de la femme médiévale, particulièrement au lumineux XIII° siècle, le siècle de Saint Louis, était bien supérieur à celui des femmes de l'antiquité romaine ou grecque (cf : Regine Pernoud, colloque de Flaran 2019), qui évoquait plutôt celui des femmes d'Arabie Saoudite actuelles.
Il était aussi bien supérieur à ce qu'il sera à partir de la Renaissance du XVI° siècle, et surtout après la Révolution de 1789.
La simple lecture des fabliaux populaires du moyen-âge montre des femmes n'ayant nulle crainte de parler, de revendiquer leurs droits et de diriger le foyer.
Les femmes avaient clairement des rôles, des fonctions différentes de celles des hommes. Par exemple, lors des moissons, les hommes fauchaient, les femmes liaients les gerbes. Travail de force et d'endurance, presque guerrier, avec un outil tranchant d'un coté, travail minutieux demandant de la dextérité, mais tout aussi vital, de l'autre.
Elle ne subissaient pas un assujetissement, qui viendra à la fin du XV° siècle, avec encore une fois, cette catastrophe que fut la mode des auteurs antiques et surtout de l'art antique (Les auteurs de l'antiquité n'avaient en fait jamais été oubliés des élites instruites), avec la constitution de l'État-Nation moderne centralisé (suite de la seconde Guerre de 100 ans), et l'apparition d'une classe économique supérieure très différentiée du peuple.
Du temps de Saint Louis, une femme pouvait enseigner la médecine. À la Renaissance, il lui fut interdit d'étudier. On peut remarquer au passage, que plus la société s'écarte de la Chrétienté médiévale, plus le statut des femmes se dégrade.
On peut le vérifier dans ces vues du parlement de Paris. Lors de ces "Lit de justice", on peut observer la présence de quelques femmes parlementaires du temps de Charles VII, tandis qu'il n'y en a aucune du temps de Louis XV.
Au moyen-âge, une femme qui soigne par les plantes, est une femme normale, qui n'a donc rien d'inquiétant pour l'Église, qui au contraire encourage, et glorifie au travers du culte des saintes et la valorisation du mariage et de la famille, le rôle de préservation de la vie de la femme. (Qui avait bien une âme, puisque bien des femmes ont été nomées saintes ou même "docteurs de l'Église").
Une autre cause limitait le phénomène de la sorcellerie. Les gens du temps de la chrétienté avaient de manière importante, primordiale, le soucis du salut de leur âme. On ne peut comprendre la mentalité, l'art, la société médiévale, si on oubli cela. Donc pas de pacte avec satan pour jouer avec les forces obscures. Trop périlleux et pas rentable devant l'Éternité.
Une femme médiévale normale sort le matin avec ses soeurs, ses voisines, pour cueillir les herbes, les "simples", pour les mélanger au brouet, ou accompagner le pain ou les galettes de céréales, selon la région, qui nourirons sa famille, dans le but de soigner ou prévenir les maladies, vues comme des perturbations, des désordres de l'harmonie intérieure du corps.
Mauve, menthes, plantain lancéolé, bourrache, consoude, ortie
Les jardins des simples paysans, comme des monastères, comportaient ces plantes médicinales, parfois importées et acclimatées, en plus des légumes nourrissants.
Planche de potager médiéval foisonnante.Consoude.
Ce savoir était une spécialité, mais pas une exclusivité féminine. Il n'avait rien de secret. C'était un savoir ouvert, public, vérifié et validé par l'expérience, comme notre savoir scientifique moderne. Les livres de Sainte Hildegarde von Bingen ne sont pas secrets. elle diffusait son savoir thaumaturge lors de conférences ou par sa communauté. C'est la même logique que l'on retrouve dans le chant grégorien, sans auteur défini, que chaque communauté pouvait copier, adapter à ses besoin, et retransmettre à d'autres communautés (source : Soeur Véronique de Meymac). On n'est pas dans l'occultisme, l'hermétisme, et autres savoirs réservés à des initiés tels qu'ils se développerons à la renaissance ou à l'époque moderne (XVII°, XVIII°) avec les alchimistes,les roses-croix ou les francs-maçons.
Bardane, mélisse, orties.
Encore une fois on peut constater que le moyen-âge "obscurantiste" était par certains aspects plus ouvert et moderne que les temps qui suivrons, y compris la fabuleuse époque "des lumières" en réalité très élitiste.
Nos anciens du IX° au XV° siècle pouvait tout à la fois être très croyants, plein de spiritualité, et rationnels, materialistes, observateurs du réel, des propriétés de la matière, partisant de la méthode expérimentale comme le furent plusieurs universitaires. Cela n'était pas contradictoire puisque la matière était fruit et partie de la Création divine. Observer la nature, c'est lire la Parole du Dieu Créateur.
Le domaine d'activité et de compétence de l'inquisition médiévale française était le combat contre les hérésies. Elle ne s'est que très peu occuppé des sorcières et des sorciers, et ceci seulement à la fin du moyen-âge.
Ce furent surtout, essentiellement, des tribunaux civils, laïques, qui parfois offraient beaucoup moins de garanties de défense que l'Inquisition, qui jugèrent des cas de sorcellerie.
Dans une étude réalisée récemment sur l'activités de tribunaux du monde germanique, on a pu relever qu'un tiers des prévenus étaient des hommes. (Colloque historique de Flaran (Hastingues) 2019)
Aucune revendication féministe n'apparaît dans les minutes des procés, les intérrogatoires, etc..
Tout au plus peut on soupçonner une rivalité entre ville et campagnes, les secondes étant perçues comme archaïques, "sauvages", et insoumises, par les gens des élites instruites des villes. Aucune trace de guerre des sexes. Cette dernière idée est une invention de notre époque plaquée de manière anachronique sur les siècles passés.
Si l'Église catholique a parfois accompagné la lutte contre la sorcellerie, elle a rapidement pris ses distances avec un phénomène que ses cadres, personnes instruites, considéraient dès le XVII° comme une folie collective, au point qu'en 1720; le Pape de Rome, demanda par une lettre public que cessent les excés de cette chasse, considérant que la plupart des accusés n'étaient que des personnes mentalement ou nerveusement déficientes.